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PAUL ET VIRGINIE
Jacques-Henri Bernardin de Saint Pierre
PAUL ET VIRGINIE
(1787)
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Table des matières
PRÉAMBULE
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PAUL ET VIRGINIE
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À propos de cette édition électronique
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PRÉAMBULE
Voici l’édition in-4° de Paul et Virginie que j’ai proposée
par souscription. Elle a été imprimée chez P. Didot l’aîné, sur
papier vélin d’Essonnes. Je l’ai enrichie de six planches dessi-
nées et gravées par les plus grands maîtres, et j’y ai mis en tête
mon portrait, que mes amis me demandaient depuis longtemps.
Il y a au moins deux ans que j’ai annoncé cette souscrip-
tion. Si plusieurs raisons m’avaient décidé à l’entreprendre, un
plus grand nombre m’aurait obligé à y renoncer. Mais j’ai regar-
dé comme le premier de mes devoirs de remplir mes engage-
ments avec mes souscripteurs. Sous ce rapport, l’histoire de
mon édition ne pourrait intéresser qu’un petit nombre de per-
sonnes : cependant, comme elle me donnera lieu de faire
quelques réflexions utiles aux gens de lettres sans expérience,
en les éclairant de celle que j’ai acquise, sur les contrefaçons, les
souscriptions, les journaux, et les artistes, j’ai lieu de croire
qu’elle ne sera indifférente à aucun lecteur. On verra au moins
comme, avec l’aide de la Providence, je suis venu à bout de tirer
cette rose d’un buisson d’épines.
Le premier motif qui m’engagea à faire une édition recher-
chée de Paul et Virginie, fut le grand succès de ce petit ouvrage.
Il n’est au fond qu’un délassement de mes Études de la Nature,
et l’application que j’ai faite de ses lois au bonheur de deux fa-
milles malheureuses. Il ne fut publié que deux ans après les pre-
mières, c’est-à-dire en 1786 : mais l’accueil qu’il reçut à sa nais-
sance surpassa mon attente. On en fit des romances, des idylles,
et plusieurs pièces de théâtre. On en imprima les divers sujets
sur des ceintures, des bracelets, et d’autres ajustements de
femme. Un grand nombre de pères et surtout de mères firent
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porter à leurs enfants venant au monde les surnoms de Paul et
de Virginie. La réputation de cette pastorale s’étendit dans toute
l’Europe. J’en ai deux traductions anglaises, une italienne, une
allemande, une hollandaise, et une polonaise ; on m’a promis de
m’en envoyer une russe et une espagnole. Elle est devenue clas-
sique en Angleterre. Sans doute j’ai obligation de ce succès,
unanime chez des nations d’opinions si différentes, aux femmes,
qui, par tout pays, ramènent de tous leurs moyens les hommes
aux lois de la nature. Elles m’en ont donné une preuve évidente
en ce que la plupart de ces traductions ont été faites par des
dames ou des demoiselles. J’ai été enchanté, je l’avoue, de voir
mes enfants adoptifs revêtus de costumes étrangers par leurs
mains maternelles ou virginales. Je me suis donc cru obligé à
mon tour de les orner de tous les charmes de la typographie et
de la gravure françaises, afin de les rendre plus dignes du sexe
sensible qui les avait si bien accueillis.
Sans doute ils lui sont redevables d’une réputation qui s’é-
tend, dès à présent, vers la postérité. Déjà les Muses décorent de
fables leur berceau et leur tombeau, comme si c’étaient des mo-
numents antiques. Non seulement plusieurs familles considé-
rables se font honneur d’être leurs alliées, mais un bon créole de
l’Île de Bourbon m’a assuré qu’il était parent du S. Géran. Un
jeune homme nouvellement arrivé des Indes orientales m’a fait
voir depuis peu une relation manuscrite de son voyage. Il y ra-
conte qu’il s’est reposé sur la vieille racine du cocotier planté à
la naissance de Paul ; qu’il s’est promené dans l’Embrasure où
l’ami de Virginie aimait tant à grimper, et qu’enfin il a vu le Noir
Domingue âgé de plus de cent vingt an s 1 , et pleurant sans cesse
la mort de ces deux aimables jeunes gens ; il ajouta que, quoi-
qu’il eût vérifié les principaux événements de leur histoire, il
avait pris la liberté de s’écarter de mes récits dans quelques cir-
constances légères, persuadé que je voudrais bien lui permettre
1 L’existence actuelle de Domingue m'avait déjà été confirmée par
plusieurs autres voyageurs. Ils m’ont assuré même qu'un habitant de l'Île
de France le faisait voir sur un théâtre pour de l'argent.
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de les publier avec leurs variantes. J’y consentis, en lui faisant
observer que, de mon temps, cette ouverture du sommet de la
montagne qu’on appelle l’Embrasure, m’avait paru à plus de
cent pieds de hauteur perpendiculaire. Au reste, je lui recom-
mandai fort d’être toujours exact à dire la vérité, et d’imiter
dans ses récits ce héros protégé de Minerve, qui avait beaucoup
moins voyagé que lui, mais qui avait vu des choses bien plus
extraordinaires.
En vérité, s’il m’est permis de le dire, je crois que mon
humble pastorale pourrait fort bien m’acquérir un jour autant
de célébrité que les poèmes sublimes de l’Iliade et de l’Odyssée
en ont valu à Homère. L’éloignement des lieux comme celui des
temps en met les personnages à la même distance, et les couvre
du même respect. J’ai déjà un Nestor dans le vieux Domingue,
et un Ulysse dans mon jeune voyageur. Les commentaires
commencent à naître ; il est possible qu’à la faveur de mes amis,
et surtout de mes ennemis, qui se piquent d’une grande sensibi-
lité à mon égard, elle me prépare autant d’éloges après ma mort
que mes autres écrits, où je n’ai cherché que la vérité, m’ont atti-
ré de persécutions pendant ma vie.
Cependant, je l’avoue, un autre motif plus touchant que ce-
lui de la gloire m’a engagé à faire une belle édition de Paul et
Virginie : c’est le désir paternel de laisser à mes enfants, qui
portent les mêmes noms, une édition exécutée par les plus ha-
biles artistes en tout genre, afin qu’elle ne pût être imitée par les
contrefacteurs. Ce sont eux qui ont dépouillé mes enfants de la
meilleure partie du patrimoine qui était en ma disposition. Les
gens de lettres se sont assez plaints de leurs brigandages ; mais
ils ne savent pas que ceux qui se présentent aujourd’hui pour s’y
opposer sont souvent plus dangereux que les contrefacteurs
eux-mêmes. Ils en jugeront par deux traits encore tout récents à
ma mémoire.
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