Souvenirs_chapitre_2.pdf

(139 KB) Pobierz
332575272 UNPDF
Les Souvenirs – chapitre 2 : L'appel divin
CHAPITRE II
L'appel divin
Résolution d'être toute à Dieu - Vœu de virginité - Au foyer de la famille - Vocation mise à l'épreuve - Plaidoyer fraternel - Journal
d'Elisabeth.
J Très enjouée par nature, nous confiait-elle, se reportant aux souvenirs de ses premières années,
j'aimais m'amuser ; mais les fêtes mondaines, même à cet âge, me tenaient en éveil à cause de mon
cœur. Cependant, ma résolution d'être toute à Dieu me gardait de l'attrait du plaisir... Quand j'étais
invitée à de petites réunions, j'allais, avant de sortir, m'enfermer dans ma chambre pour prier un bon
moment ; je me savais si ardente, que je m'obligeais à une grande vigilance.
Cette volonté d'être complètement à Dieu ne fut d'abord qu'une tendance vague vers le plus parfait.
Je ne me souviens pas quand Elisabeth me fit ses premières ouvertures sur son désir de se consacrer
à Notre-Seigneur, rapporte une amie intime ; mais encore bien petite, elle jouait, de préférence, à imiter
les religieuses : c'était déjà sa seule pensée ; je ne l'ai jamais vue varier. Un soir, elle me déclara qu'elle
voulait être trappistine, le Carmel ne lui paraissant pas assez sévère...
Quelque temps après, son choix était fait.
Elle avait à peine quatorze ans, dit à son tour Mme X..., lorsqu'un jour, je la trouvai pensive, triste et
levant ses beaux yeux vers le ciel comme pour l'implorer. Je m'approchai et lui demandai pourquoi cet
air morose, quand tout lui souriait dans la vie. « Madame, je pense à mon bonheur, lorsque le Carmel
m’ouvrira ses portes ; et il me semble que le temps passe bien lentement, car je voudrais déjà être au
service de Dieu ». Je ris de cette décision prématurée, et lui fis entendre que, dans le monde, elle
pourrait aimer et servir Dieu, tout en entourant de soins et d'affection sa mère si parfaite. Elle me laissa
exprimer toute ma pensée, puis me répondit : « Dieu me veut pour Lui ; ma chère maman comprendra
mon désir, elle sera heureuse de mon départ, puisque ce départ doit faire mon bonheur. Je l'aimerai
bien tout de même, allez ! »
Comment Elisabeth s'était-elle déterminée pour le Carmel ? Nous l'apprenons par les lignes suivantes :
e serai religieuse, je veux être religieuse , avait dit l'enfant de sept ans. Elle ne comprenait pas qu'on pût
se donner à demi au bon Dieu ; ainsi sa conversion lui avait-elle ouvert la voie des parfaits.
Les Souvenirs – chapitre 2 : L'appel divin
J'aimais beaucoup la prière, et tellement le bon Dieu, que même avant ma première communion, je
ne comprenais pas qu'on pût donner son cœur à un autre ; et, dès lors, j'étais résolue à n'aimer que Lui
et à ne vivre que pour Lui.
J'allais avoir quatorze ans, quand un jour, pendant mon action de grâces, je me sentis irrésistiblement
poussée à Le choisir pour unique époux, et sans délai, je me liai à Lui par le vœu de virginité. Nous ne
nous dîmes rien, ajouta-t-elle en nous faisant cette confidence, mais nous nous donnâmes l'un à l'autre
en nous aimant si fort, que la résolution d'être toute à Lui devint chez moi plus définitive encore. Une
autre fois, après la sainte communion, il me sembla que le mot Carmel était prononcé dans mon âme,
et je ne pensai plus qu'à m'ensevelir derrière ses grilles.
Six années la séparent de ce jour tant désiré ; années d'attente bien longues au gré de ses aspirations,
mais rapides et bénies pour le foyer qu'elle embaume du parfum de ses vertus. La tendresse de son cœur se
concentre sur sa mère et sa sœur Marguerite. Sa mère, de quelle vénération elle l'entoure ! Elle écrira un jour,
après avoir entendu un sermon sur l'éducation des enfants : « J'ai remercié Dieu du fond de mon cœur de
m'avoir donné une mère comme la mienne, une mère douce et sévère à la fois, et qui a su vaincre mon
terrible caractère ».
A l'égard de sa jeune sœur, elle joue son rôle d'aînée avec une grâce charmante : « Ses exemples ne
m'instruisaient pas moins que les conseils de sa piété si éclairée, de son jugement si sûr », observe à ce
propos celle dont il est ici question.
Elisabeth avait douze à treize ans, quand un dimanche, au sortir d'un office paroissial, elle me dit :
« J'ai entendu le bon Dieu me demander de ne pas prendre deux chaises à l'église ; il ne faut pas être
si bien installée ». Je me mis à rire, repartant que c'était bien égal au bon Dieu qu'elle eût une ou deux
chaises. Plus tard, je compris dans quelle dépendance de la grâce vivait mon angélique sœur : le secret
de ses rapides progrès dans la perfection m'était dévoilé. Avant cet âge, l'amour divin remplissait déjà
son cœur ; tout en elle en témoignait. Un jour, petite enfant, elle s'était écriée, passant devant le
théâtre : « Oh ! que je voudrais être actrice ! » – « Comment, vous, Elisabeth, avoir un pareil désir ? »
lui avait-on dit, plus que surpris de cette exclamation. – « Oui, car dans ce lieu il y aurait au moins un
cœur qui aimerait Dieu ». Aimer Dieu et le faire aimer étaient toute sa vie. Elle veillait à ce que rien,
en mon âme, ne fit obstacle à la grâce ; ainsi cherchait-elle à me corriger d'une certaine timidité,
comme d'un manque de simplicité provenant de l'amour-propre.
Se renoncer était passé dans ses habitudes, tellement qu'on ne pouvait apercevoir en elle la moindre
contrainte en ces occasions ; elle témoignait même alors une satisfaction que pouvait seule causer la
pensée d'un nouveau sacrifice, nouvel acte d'amour, et d'une joie à procurer aux autres.
Ses amies donnent les mêmes éloges à sa vertu.
Les Souvenirs – chapitre 2 : L'appel divin
Je ne l'ai jamais ouï dire du mal de personne, témoigne l'une d'entre elles, jamais non plus du bien à
faux ; elle savait faire ressortir ce qu'il y a de bon en chacun, sans pour cela nier les lacunes : son tact
égalait sa charité, de même que son indulgence ne l'empêchait pas d'être ferme quand il le fallait.
Elisabeth désirait mourir jeune, la terre n'avait rien qui l'attirât ; cependant elle avait grand'peur du
jugement particulier, et chaque soir, ne s'endormait qu'après s'être préparée à la mort, comme si elle eût dû
mourir la nuit même. Bientôt, à la crainte, devait succéder l'amour le plus épanouissant.
Une tendre dévotion pour sainte Catherine de Sienne, nous dit-on d'autre part, la portait à imiter son
recueillement continuel dans la petite cellule de son cœur, où elle se plaisait à tenir compagnie au divin
Maître et à lui offrir les fleurs de ses sacrifices. Je fus bien souvent témoin, ajoute la narratrice, de ses
efforts pour dissimuler une peine, réprimer une impatience, une parole trop vive.
Une note d'Elisabeth nous livre le secret de ces triomphes de la grâce :
Lorsque je reçois une observation qui ne me paraît pas juste, je crois sentir bouillonner mon sang
dans mes veines, tant mon être se révolte !... Aujourd'hui, j'ai eu la joie d'offrir à mon Jésus plusieurs
sacrifices sur mon défaut dominant ; comme ils m'ont coûté ! Je reconnais là ma faiblesse, mais Jésus
était avec moi ; j'entendais sa voix au fond de mon cœur, alors j'étais prête à tout supporter pour
l'amour de Lui !
Oui, Jésus vivait en elle ; sa présence se trahissait au dehors ; « il émanait d'elle quelque chose que je
ne saurais exprimer , rapporte une autre amie ; c'était si pur, si ardent, si doux pourtant : c'était suave et
simple comme le parfum de la vertu ».
Ces quelques souvenirs suffisent à esquisser la physionomie de cette enfant vraiment toute prise par
Dieu. C'était bien ce qui se lisait en son regard limpide et profond, en son attitude modeste et recueillie ;
l'âme de la « petite sainte » transpirait en tout son être, en tous ses actes, jusque dans les harmonies de son
clavier, qu'elle faisait vibrer avec un art de plus en plus remarquable. « Nul ne sait comme elle interpréter les
grands maîtres, disait-on, car elle a de l'âme » ; et l'on sentait que cette âme n'était pas faite pour le monde.
D'où lui venait ce génie d'interprétation ? Elle-même nous le fait connaître, écrivant à propos d'une
enfant qui s'effrayait de prendre part active à une séance musicale :
Je prierai pour Madeleine afin que le bon Dieu l'envahisse jusqu'en ses petits doigts ; alors je défie
qui que ce soit de rivaliser avec elle. Qu'elle ne s'énerve pas ; je vais lui donner mon secret : il faut
qu'elle oublie tous ceux qui l'écoutent et se croie seule avec le Maître divin ; alors on joue pour Lui
Les Souvenirs – chapitre 2 : L'appel divin
avec toute son âme, et l'on fait sortir de son instrument des sons pleins, à la fois puissants et doux.
Oh ! que j'aimais à Lui parler ainsi !
Non, en vérité, une telle âme n'était pas faite pour le monde, et l'on n'est pas surpris de l'entendre
s'écrier, se reportant à cette époque de sa vie : « Le monde ! il m'effrayait ». Nous l'avons vue bien jeune
encore, à l'approche d'une réunion enfantine, « se tenir en éveil à cause de son cœur ». La grande vigilance à
laquelle s'était résolue cette jeune fille ardente et fidèle, nous savons avec quelle délicatesse, quels soins
jaloux, elle sut l'exercer jusqu'à son entrée au Carmel.
A dix-huit ans, ce fut fini de la lutte, disait-elle ; au milieu des fêtes, prise par la présence du divin
Maître et par la pensée de ma communion du lendemain, je devenais comme étrangère, insensible à
tout ce qui se passait autour de moi.
Mme X... rapporte en effet que, dans une soirée pleine d'entrain, frappée de son regard, elle ne put
s'empêcher de lui dire : « Elisabeth, vous n'êtes pas ici, certainement vous voyez Dieu ». La jeune fille s'était
contentée de sourire. Mme Catez, dont l'attention avait été appelée sur le regard de sa fille emportée par le
mouvement de la fête, comprit, elle aussi, que le cœur de son enfant n'était pas là. D'ailleurs, ignorait-elle ses
aspirations ? Comment oublier ces lignes surprises dans son Journal : « Ô Carmel ! Quand donc m'ouvriras-
tu tes portes ? » Depuis ce jour, la vision du grand sacrifice ne l'avait jamais quittée.
En 1897, M. l'abbé S... changeait de résidence ; avant son départ, il lui parla sérieusement de la
vocation d'Elisabeth, dont il plaida la cause contre des délais trop faciles à prévoir. Tout en se soumettant à
l'ordre d'en haut, Mme Catez voulut éprouver elle-même cette vocation et la laisser mûrir.
Une des épreuves les plus sensibles à la chère enfant, fut la privation des rapports qu'elle eût aimé
établir avec le Carmel pour consoler son attente et soutenir ses efforts. Elle l'accepta dans cet esprit
d'obéissance qui l'animait toujours, et se prêta avec la même bonne grâce et docilité à tous les désirs de sa
mère, en qui elle se confiait absolument.
L'été suivant, on partit pour la Lorraine.
Pendant trois semaines, les réunions se succédèrent ; « Elisabeth y paraissait irréprochable dans sa
mise d'une élégante simplicité, car son bon goût la guidait en cela comme en toutes choses, sans recherche
ni prétention ». A la voir ainsi aimable et gracieuse, nul ne se doutait qu'elle vécût dans l'attente du cloître.
Après la Lorraine, au camp de Châlons, elle se créa de nouvelles sympathies dans le monde militaire.
Mais pendant que ses dehors charmants faisaient concevoir autour d'elle bien des espérances, elle continuait
à poursuivre un plus haut idéal.
Les Souvenirs – chapitre 2 : L'appel divin
Admirant en silence cette rare vertu et se berçant encore de quelque espoir, sa pieuse mère s'en remit,
pour l'avenir, au jugement d'un prêtre en qui elle avait toute confianc e 1 .
Un jour, s'ouvrant à sa seconde fille de ses perplexités, Mme Catez apprit que son Elisabeth aspirait
plus que jamais au cloître, et, qu'en ce moment même, elle faisait une neuvaine à la Sainte Vierge pour
obtenir le consentement désiré. Marguerite plaida généreusement une cause bien sensible à son cœur, et la
pauvre mère, vaincue sans doute par la grâce, fit appeler sa fille aînée. Il s'ensuivit cette touchante scène
décrite par Elisabeth elle-même :
Dimanche,26 mai 1899 - « Ô Marie, vous m'exaucez continuez à me soutenir !
Marguerite a encore abordé le sujet de ma vocation ; maman lui a répondu que je ne devais plus y
penser, et qu'elle ne m'en parlerait pas la première. Cependant, après le déjeuner, cette pauvre mère
m'interrogea. Quand elle vit mes idées toujours les mêmes, elle versa beaucoup de larmes, et me dit
qu'elle ne m'empêcherait pas de partir à vingt et un ans ; que j'avais donc seulement deux ans d'attente
et, qu'en conscience, je ne pouvais laisser ma sœur avant ce terme.
Comme j'ai admiré sa résignation ! C'est bien Marie qui m'a obtenu cette grâce, car jamais je ne
l'avais trouvée ainsi. Lorsque je les ai vues pleurer toutes deux, les larmes m'ont inondée moi-même. O
mon Jésus, il faut que ce soit vous qui m'appeliez, vous qui me souteniez ; il faut que je vous voie me
tendant les bras au-dessus de ces bien-aimées, pour que mon cœur ne se brise pas. Afin de leur éviter
une larme, je tenterais tout... et c'est moi qui les afflige ainsi. O mon Maître ! je le sens, vous me
voulez, et vous me donnez force et courage ; dans ma peine, j'éprouve un calme infini. Oui, bientôt je
pourrai répondre à votre appel ; pendant ces deux ans, je vais faire plus d'efforts, afin d'être une épouse
moins indigne de vous, mon Bien-Aimé.
Je crois rêver. Ah ! c'est trop beau ! je ne puis penser qu'à moi, mauvaise, misérable créature, vous
réservez un bonheur semblable. Soyez-en à jamais béni ! Et maintenant, ô vous qui pouvez tout
remplacer en mon cœur, brûlez, arrachez tout ce qui vous déplaît en moi. O Marie, merci !... Continuez
votre œuvre, soutenez ma bonne mère dont j'admire le courage, récompensez ma chère petite sœur qui
ne pense qu'à m'obtenir le bonheur auquel j'aspire. Donnez-leur force et courage ; qu'elles
comprennent que, malgré mon amour pour elles, je suis prête à les quitter pour mon Jésus ; qu'elles
croient bien que c'est Lui qui m'appelle, que pour Lui seul je les sacrifie... O Bien-Aimé, soutenez-les,
soutenez aussi celle qui vous aime à en mourir, et qui ne peut trouver une parole assez puissante pour
vous remercier !
Sa prière fut exaucée : ces belles âmes firent de grands progrès dans les voies de Dieu. Quant à
1 M. le chanoine G... fut le directeur d'Elisabeth jusqu'à son entrée au Carmel. II reconnut bientôt l'appel de Dieu, et lorsque le
moment de la séparation arrivé, la pauvre mère demandait encore le sursis d'une année, ce fut lui qui la détermina à consommer
le sacrifice .
Zgłoś jeśli naruszono regulamin